Concert final de la Résidence Voix du Festival d’Aix-en-Provence : Haendel en majesté
Sous le mentorat de Barbara Hannigan, Darrell Babidge, Alphonse Cemin, au chant et à l’accompagnement, Emmanuelle Haïm et Benoit Hartoin, à la direction, l’Académie, fondée au sein du Festival en 1998, demeure un incubateur de talents. Elle est traversée par un esprit de franche et joyeuse collaboration, à voir les sourires et les gestes complices des jeunes artistes, et d’ouverture sensible sur le monde lyrique, à voir l’engagement fervent avec lequel ils s’emparent des répertoires lyriques (du baroque au contemporain, en passant par le bel canto) et leur donnent tout, en retour. Les 17 extraits choisis ce soir, par eux ou pour eux, en solo, en duo et finalement en chœur, puisent dans l’immense corpus d’opéras, d’oratorios ou encore de cantates, alternant langue anglaise et italienne, du maître baroque. Ainsi, l’Académie rend-elle hommage à cette figure emblématique d’une prestigieuse académie lyrique, la Royal Academy of Music.
La soprano Lilit Davtyan est la première à l’ouvrage du récital, en Morgana gourmande et dévoreuse. La lèvre supérieure maintenant le cap de la justesse d’un son attaqué par le haut, la lèvre inférieure chantournant la ligne de chant, expriment l’ardeur surnaturelle de son personnage, qui étincelle dans la vocalise. Même énergie dévorante et communicative en Armida ou Galatea, en duo avec Maurel Endong et Ryan Capozzo.
La soprano Susanne Burgess s’illustre par un organe puissant, un timbre brillant. Sa Cleopatra de platine quitte ses phrases sur une note tremblée, un reliquat de vibrato, comme pour quémander de la compassion. Le souffle est premier, permettant de rendre la voix de Dafne homogène, de la déployer verticalement d’un zénith d’airain jusqu’à un nadir d’étain, en duo avec l’Apollo crépitant de Timothée Varon.
Troisième soprano, Madison Nonoa tire son épingle du jeu, par la délicatesse épidermique de son interprétation. La voix coule, s’écoule, se lève avec le soleil matinal de pianissimi filés, après avoir gravi avec une grâce de dentellière de grands intervalles expressifs. Son duo pastoral avec Jonghyun Park lui permet d’ajouter de la décoration à l’émotion, de roucouler et jongler avec sa voix, avec un bonheur d’enfant.
La mezzo-soprano Marine Chagnon compose un personnage d’Ariodante comme structuré par une fine mais solide armure, qui protège et soutient la lance vocale de sa partie, arme blanche aux pics sonores redoutables. La vocalise est lancée avec une preste élégance, après un court appui, tandis que chaque motif répété, chaque séquence récurrente est variée dans un souci heureux du contraste et de la diversité, notamment en Cornelia, dans son duo avec Elmina Hasan.
La mezzo Joanne Evans est un Tamerlano de pur métal, au doux polissage, moiré de matité et de satiné. La voix est placée bas, presqu’en poitrine, mais portée par une énergie qui emporte les muscles d’un visage de tragédienne. La vocalité se déploie dans la vocalise, crépitante, telle une courte transe chamanique, plongeant, de manière contrôlée de justesse par Camille Delaforge, dans l’eau profonde de la rage.
La troisième mezzo, Elmina Hasan, vêtue d’un complet noir qui tranche avec les robes fastueuses des deux premiers concerts, est un Sesto à la douceur décidée. La voix, ample, bien posée, ne donne pas tout-tout-de-suite : elle respire, soigne la prononciation des consonnes et projette ses vocalises avec un grand battement d’aile. Ayant de la réserve, elle entre en osmose discrète, avec sa partenaire Cornelia.
Le ténor Jonghyun Park a un timbre d’érable qui emporte dans de grands legati des phrases ciselées par une diction précise. La lèvre supérieure est comme une proue de navire, à l’avant-poste des intervalles ascendants.
Ryan Capozzo, souffrant lors des deux premiers concerts, révèle un ténor au charme champêtre. Le phrasé respire, la diction coule de source, l’instrument étant solidement posé sur un coffre barytonnant d’où partent des crescendi bien aiguisés.
Le baryton Timothée Varon est véhément, bien projeté et articulé. Le placement de la voix, dans la déclamation, perd en précision, dans l’attaque comme dans l’interruption du son, ce qu’elle gagne en vivacité et engagement.
Le baryton-basse Maurel Endong structure sa voix pleine par une articulation soignée, un soutien permanent, y compris quand il quitte l’aigu pour le grave, un timbre de résine tour à tour illuminée ou ombrée. Son Argante ne lâche pas la main de sa partenaire, comme pour faire circuler le chant de l’un à l’autre, telles deux armes vocales qui s’entrechoquent.
Le public ne se lasse pas de cette explosion vocale, qui s’achève sur le chœur impérial des dix artistes réunis à l’avant-scène, porté par la dense forêt du Concert d'Astrée visiblement sous le Charme, à l'issue de cette soirée sous la direction aisée d'Emmanuelle Haïm, vive et assurée de Camille Delaforge (les deux ayant en commun l’écoute des chanteurs dans un soutien différencié pour chacun d’eux, avec un dosage millimétré de proximité et de distance).
Face aux cheffes, le clavecin est éclaboussé par les gouttes du luth et relié au fil sombre du violoncelle pour bâtir en architecte un intense continuo. Les hautbois fleuronnent en fond de phalange, tels de vivants réverbères produisant un halo sonore qui éclaire la petite planète du Concert d'Astrée.
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